Paroles d'éditeurs
Paroles d'éditeurs !
I/ LETTRES DE REJET (1)
J'ai pensé qu'il pourrait être amusant mais aussi utile et instructif de connaître le style de prose qu'adoptent les éditeurs dans les lettres par lesquelles ils rejettent 99 es manuscrits qui leur ont été soumis. Naturellement, sauf rares exceptions, il s'agit de lettres circulaires types. Mais, parfois, surgit une lettre plus ou moins personnalisée. Vous trouverez, ci-dessous, des extraits des deux types de lettres. Je précise que j'ai été personnellement destinataire de l'ensemble des textes ci-dessous et que je risque fort, dans le futur, tout comme vous, d'en recevoir d'autres du même acabit ! Les réponses types, vous pourrez le constater, ne brillent pas par leur originalité et sont cousines les unes des autres :
Flammarion : Nous avons lu le manuscrit que vous avez bien voulu nous faire parvenir. Hélas, l'unanimité ne s'est pas faite autour de votre texte au sein de notre Comité de Lecture et nous sommes désolés de ne pouvoir en envisager la publication.
Stock : Nous avons lu avec intérêt votre manuscrit. Malheureusement, il ne correspond pas à ce que nous recherchons dans le cadre de notre ligne éditoriale.
Le Seuil : Nous avons bien reçu votre projet. Nous regrettons cependant de ne pouvoir le publier car il ne répond pas aux critères de notre politique éditoriale. Nous vous souhaitons meilleure chance auprès d'un autre éditeur.
Gallimard : Nos lecteurs y ont trouvé des qualités, cependant nous sommes au regret de vous annoncer que le comité de lecture n'en a pas jugé la publication possible. En effet, il ne s'intègre pas au programme que nous avons fixé pour cette année.
Havas Poche : Nous avons bien reçu votre manuscrit et nous vous remercions d'avoir pensé à nos collections pour la publication éventuelle de votre ouvrage. Nous ne pourrons cependant pas donner suite à votre proposition, votre texte ne correspondant pas à notre politique éditoriale actuelle.
Bernard Grasset : Nous avons lu avec beaucoup d'intérêt le manuscrit que vous avez bien voulu nous présenter. Malheureusement notre production très limitée ne nous a pas permis de le retenir.
Actes Sud (ou la réponse négative préventive !) : Si, dans un délai de quatre mois, vous n'aviez reçu aucun courrier de notre part, cela signifierait que nous n'avons pas pu retenir votre ouvrage pour publication.
Le Cherche Midi ou la réponse la plus lapidaire et la plus rapide : Nous vous remercions de nous avoir soumis votre projet. Malheureusement, notre comité de lecture ne l'a pas retenu. (petit détail amusant, mon projet avait été proposé par e-mail le 10 septembre et la réponse était datée du 11 septembre ! Efficace, le comité de lecture !)
Albin Michel et Grasset ou le non à la chaîne : parmi les grands éditeurs, en voici au moins deux qui assurent le "service minimum" à l'égard des auteurs qui leur ont proposé un manuscrit. En effet, la lettre de refus est non seulement une lettre type mais, en outre, l'éditeur ne se donne même pas la peine de rappeler le titre de l'ouvrage qui lui a été soumis. C'est un détail, mais les auteurs ainsi rejetés pourraient se demander s'il n'est pas révélateur d'un certain état d'esprit. Heureusement que nombre d' autres éditeurs ont au moins la délicatesse de préciser de quel manuscrit il s'agit !
Trois réponses types (dont deux de XO) sortent du lot :
XO : Nous avons bien reçu votre manuscrit et vous remercions de votre confiance. Nous l'avons lu, et malheureusement, nous avons choisi de ne pas le publier - non pas parce qu'il ne nous semble pas bon, c'est plutôt une question de "coup de coeur", d'envie ou non de devenir l'éditeur d'un livre. Un autre éditeur pourrait parfaitement, lui, et avec raison s'enthousiasmer... Je vous le souhaite très sincèrement.
XO encore : Malheureusement, nous ne deviendrons pas son éditeur. Si vous voulez bien excuser cette franchise, il a manqué le "coup de coeur", le livre qui s'impose comme une évidence.
Éditions Chronique Sociale : Enfin, pour le plaisir, voici la réponse la plus lapidaire, celle des Éditions Chronique Sociale, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle ne s'embarrasse pas de fioritures : En date du .... vous nous avez fait parvenir... Nous n'envisageons pas de publier ce type d'ouvrage. Veuillez recevoir, Monsieur, nos sincères salutations. Voilà des gens efficaces et qu'on ne peut pas taxer d'hypocrisie !
Envoyez moi une copie des lettres "pittoresques" de refus que vous avez reçues des éditeurs ! >
Elles seront reprises sur ce site. (cf. plus loin).
II/ UNE LETTRE DE REJET ATYPIQUE
Mettez-vous à ma place. Que penseriez-vous si vous receviez, comme ce fut le cas pour mon premier roman (Le pharaon du bout du monde) , la lettre suivante ?
Elor : Votre manuscrit fera l'objet d'un examen dès que possible et nous nous efforcerons de vous préciser dans un délai raisonnable s'il est possible d'envisager une suite favorable. Nous vous demandons donc de ne pas vous inquiéter si vous n'avez pas de réponse dans les mois qui viennent. Nous recevons beaucoup de manuscrits et notre programme éditorial ainsi que la disponibilité de notre comité de lecture ne nous permettent pas d'étudier votre texte pour l'instant.
Je présume que, tout comme moi, vous ne seriez pas surpris de ne plus jamais entendre parler d'eux. Et c'est effectivement ce qui se produisit, avec une nuance de taille toutefois.
Figurez-vous que, presque trois ans plus tard - j'ai bien dit trois ans plus tard ! - je reçois une lettre d'Elor. Et, ô surprise, j'apprends que cet éditeur avait bien lu mon manuscrit et qu'il lui avait même beaucoup plu... mais qu'il n'avait pas alors de collection pour l'accueillir. mais voilà qu'en 2004, il vient de créer une nouvelle collection où il aurait sa place... Est-ce que, par hasard, je serais intéressé... ? Voici un extrait de leur lettre du 3 mai 2004 :
En 2001, vous aviez eu l'amabilité de nous adresser un manuscrit Le Pharaon du bout du monde. Nous l'avions lu en son temps, et l'avions trouvé très intéressant. Cependant, nous ne détenions pas encore de collections adaptées pour un tel texte (...)
Depuis l'année dernière, nous avons pris l'initiative de créer une nouvelle collection Horizons Lointains qui regroupe des romans pour les jeunes de plus de quinze ans et les adultes : comme son nom l'indique, il s'agit de faire voyager le lecteur, dans le temps et/ou dans l'espace. Votre manuscrit, précieusement gardé dans nos bureaux, nous paraît pouvoir entrer idéalement dans cette nouvelle collection.
Aussi, nous vous écrivons ce jour pour vous demander si Le Pharaon du bout du monde cherche toujours un éditeur. Si c'est effectivement le cas, Elor serait ravi d'entreprendre une collaboration avec vous.
Et voilà comment Le pharaon du bout du monde, qui était à la fois mon premier livre et mon premier roman, est enfin paru à la fin de l'an de grâce 2006 !
III/ AUTRES LETTRES DE REJET
Voici, pour remonter le moral, quelques refus - sans doute - personnalisés :
Alternatives : Je suis désolé d'avoir à vous retourner votre manuscrit. Votre travail est très intéressant et parfait dans sa forme mais nous avons jugé, après de nombreuses discussions, que ce thème était trop éloigné de notre catalogue et de nos orientations éditoriales et que nous ne serions pas à même de donner à votre travail le succès qu'il mérite.
Le Seuil : Nous avons étudié avec beaucoup d'attention votre manuscrit intitulé ... Il ne nous a malheureusement pas paru possible de le retenir pour publication. En effet, son mode narratif insuffisamment élaboré et maîtrisé l'écarte du cadre de nos collections.
Le Puits Fleuri : Le sujet proposé ne correspond pas aux thèmes traités dans nos collections. Et nous ne pourrons donc y donner suite. Par contre, dans les ouvrages que vous avez déjà publiés, certains auraient pu nous intéresser... Espérant que vous aurez l'occasion de nous proposer ultérieurement un ouvrage plus en adéquation avec l'esprit de nos collections, etc. Pour finir, un refus vraiment personnalisé, sous la forme d'une carte manuscrite :
Éditions Ramsay (sur une petite carte écrite à la main) : Nous sommes au regret de vous informer que votre ouvrage intitulé L'Histoire à pile ou face n'est pas susceptible d'intéresser les Éditions Ramsay en vue d'une publication. Nous n'éditons que des livres abordant l'actualité immédiate. En vous remerciant de la confiance que vous avez témoignée aux Éditions Ramsay, nous vous prions, Monsieur Dutertre, de bien vouloir agréer l'expression de nos salutations distinguées.
IIIBIS/
En prime, vous trouverez ci-dessous le texte des lettres de refus intéressantes que m'adresseront des visiteurs du site et qui méritent une citation.
Editions Phébus : Pas de grandes critiques à formuler à l'endroit de ces "Couleurs de ma Vie". Pas non plus cette étincelle d'enthousiasme qui, après lecture, nous fait nous engager. Merci toutefois de votre confiance. Bonne chance et meilleures salutations. (lettre reçue par Thomas Burnet) !
Éditions LeDilettante :lettre-type assortie d'un commentaire manuscrit de l'éditeur : Nous n'avons pas été séduits par cette histoire de 'justiciers' d'autant que votre écriture manque cruellement d'originalité". C'est Pierre Marie Windal, auteur du savoureux Dieu n'aime pas les fonctionnaires, qui m'a fait parvenir cette réponse qu'il commente ainsi : "Le mot important dans ce refus est "cruellement". Cette volonté d'être "cruel" tranche avec l'indifférence des refus ordinaires qui, eux, sont rarement méchants." L'auteur se demande si "Cet éditeur a attrappé la grosse tête avec sa poule (Gavalda) aux livres d'or". D'ailleurs, même s'il trouve ce refus "grossier", il aimerait savoir "ce qui motive son jugement, ne serait-ce que pour progresser. "
Éditions Belfond (lettre reçue par Calash sans que le itre de son livre soit rappelé !))
Monsieur Nous avons bien reçu votre manuscrit, et nous vous remercions de votre confiance.
Après examen de votre texte par notre comité de lecture, nous avons pris la décision de ne pas le publier, car sa dimension littéraire ne nous a pas paru suffisamment affirmée pour susciter l’enthousiasme nécessaire à l’aventure d’une publication. Nous vous souhaitons bonne chance auprès d’autres éditeurs.
IV/ LA GALERE DES PETITS EDITEURS
Naturellement, dans la vie, charité ordonnée commence par soi-même. Et il n'y a pas de raison qu'il en aille autrement dans le monde du livre ! C'est le chacun pour soi des auteurs d'un côté, des éditeurs de l'autre. Cela étant dit, l'industrie du livre a besoin - outre de lecteurs qui les achètent - des auteurs autant que des éditeurs, sans parler des distributeurs.
À ce jeu, il n'y a pas que les petits auteurs qui "galèrent" : il en est de même des petits éditeurs.
En effet, il ne faut pas perdre de vue le fait que l'édition est une forme de spéculation (cf. Spéculation à l'usage des honnêtes gens, Éditions Maxima, 2002) : si un livre ne marche pas, l'éditeur se retrouve avec une ardoise sur les bras. S'il marche à peu près, il dégagera un petit bénéfice et, en règle générale, ce sera avec un livre sur dix qu'il gagnera réellement de l'argent.
En conséquence, il est clair que la probabilité de toucher le jackpot est d'autant plus grande qu'on a les reins assez solides, sur le plan financier, pour publier un nombre élevé d'auteurs différents. Tel n'est évidemment pas le cas pour un petit éditeur qui part avec un handicap structurel dans la course aux best-sellers.
Ceci sera d'autant plus vrai que c'est précisément pour cette raison que les "bons" auteurs auront tendance à privilégier les "grands" éditeurs. C'est que, sauf cas rarissimes, il est clair que ce n'est pas en allant chez un petit éditeur qu'un auteur décrochera le Goncourt ! Ce n'est pas non plus ainsi qu'il fera fortune. Pourquoi ? Parce que les tirages seront forcément plus modestes que chez les "grands" éditeurs et, surtout, parce que le support logistique de vente sera moins large et nettement moins performant.
Pour prendre une analogie sportive, le petit éditeur est un peu à l'édition ce qu'est un petit club au monde du football : il recrute les jeunes joueurs débutants et les forme ; puis, ceux qui sont les meilleurs sont repérés par les grands clubs qui leur font un pont d'or et les débauchent ! C'est peut-être injuste, mais c'est ainsi.
Les petits éditeurs assurent donc un rôle utile et c'est vers eux que les petits auteurs auront souvent intérêt à se tourner. D'abord parce que les chances de publication sont nettement plus importantes que chez les grands éditeurs. Ensuite parce que, sur le plan des relations humaines, l'atmosphère sera souvent bien plus agréable : la convivialité n'est pas là un vain mot et l'on sait donner du temps au temps. Les contacts seront beaucoup plus proches et "réels", car on n'est plus un numéro noyé dans la mer des autres auteurs. Il n'est pas rare qu'au fil des livres, une réelle amitié se développe.
Tel a été le cas pour mon père, auteur de livres para-scolaires (ses livres, tels que la grammaire française et l'orthographe grammaticale par l'exemple ou le résumé de texte par l'exemple, etc. aux éditions Roudil, lui survivent) qui a entretenu d'étroites relations avec son éditeur et ses adjoints pendant des dizaines d'années.
Malheureusement, si cet aspect humain - qui fait le charme du métier et est une des raisons pour lesquelles on devient un petit éditeur - est bien agréable, on ne peut pas en dire autant des rudes réalités économiques qui sont une épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête du petit éditeur. Il lui faut sans arrêt jongler avec des problèmes de trésorerie, ce qui est naturellement stressant. Comme, par ailleurs, il ne peut guère embaucher de personnel, il est surchargé de travail : entre la lecture et la sélection des manuscrits (sans manuscrits, pas de livres !), le suivi de la confection des ouvrages et leur relecture avant tirage, leur commercialisation, les formalités diverses, etc. il n'est pas rare qu'on arrive à faire les 35 heures deux fois dans la même semaine ! Et, pourtant, la survie n'est pas garantie !
V/ LA GALÈRE DES PETITS ÉDITEURS (suite)
Les petits éditeurs ne veulent pas mourir !
Il est vraisemblable que le label « librairie de référence » va voir le jour dans les mois qui viennent. Les petits éditeurs n'ont qu'à s'en réjouir, à la condition sine qua non que l'obtention de ce label soit assortie de l'engagement formel d'accepter de travailler avec eux; Un libraire qui refuse de recevoir un petit éditeur, un des ses commerciaux directs ou les commerciaux de petits distributeurs ne saurait être retenu comme une « référence ».
En effet, l'histoire de l'édition dans les 50 dernières années a montré l'importance des petits éditeurs indépendants (tous ne sont pas restés petits) dans la création. Il est impossible de signaler comme « références » des points de vente qui rationalisent leur gestion en limitant de façon scandaleusement arbitraire le nombre de leurs fournisseurs, au mépris de la diversité de l'offre culturelle. Un petit éditeur ne peut défendre ses livres, c'est-à-dire l'oeuvre de ses auteurs que s'il a la possibilité d'en parler directement aux libraires. Dans toutes les petites maisons, c'est généralement le patron lui-même qui entreprend ce travail. Il est ensuite relayé par un petit diffuseur, ou dans l'idéal, par quelques commerciaux « maison » qui, ayant peu d'ouvrages à présenter, les connaissent bien et savent les faire vivre. Si, à l'imitation de grandes chaînes préoccupées de rentabilité à court terme, et non de la diffusion de la culture, certains libraires indépendants se mettaient à refuser d'avoir des relations avec cette partie de l'édition, ce serait la tuer. comment citer des noms de confrères ayant démarré modestement, mais dont certains auteurs, découverts par eux, ont beaucoup apporté à la littérature ? Ce serait injuste vis-à-vis de ceux que j'oublierai inévitablement. Je préfère donc m'abstenir. Mais, justement, pour moi, un libraire de référence digne de ce nom, c'est un libraire à qui vient à l'esprit une foule de noms quand on lui pose une telle question. Ce n'est pas tout de se dire acteur culturel, encore faut-il le prouver dans les actes.
Article de Jean-Paul GISSEROT, paru dans La Gazette des Amis de la Lecture, n°98, mars 2008.